Baroud d'honneur et dernier message ...
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suzini et parachutiste à alger

Dans son bureau, Challe est d'un calme olympien. Il a demandé à son aide de camp, le capitaine Perrier, de brûler tous les documents et de ficher le camp. Il a rendu leur parole à ses officiers et est décidé à se livrer. Il se sent disponible.
C'est alors qu'intervient Jean-Jacques Susini. Challe sait qu'il est arrivé dans les bagages de Salan, mais jusque-là il ne l'a pas vu... et ne s'en est pas plaint. Susini veut réussir là où Robin et les officiers à gros godillots ont échoué : faire revenir Challe sur sa décision, gagner du temps, le persuader de reprendre la lutte au coeur d'Alger. Le petit maître à penser de la future O.A.S., dont Salan prendra la tête, déploie des trésors d'éloquence. Avec ce général républicain il ne peut pas user de la phraséologie fasciste qui lui est habituelle. Non, il faut faire dans le sentiment. Susini, qui est diaboliquement intelligent et qui est un orateur-né, dispose de multiples registres. Pendant trois quarts d'heure il démontre à Challe qu'il ne peut abandonner la population civile, qu'elle se soulèvera contre Paris et que ce sera atroce. Et il parle ! Et il parle ! Et il réussit ! Challe, convaincu, épuisé aussi, cède. Il est seul. Il a dégagé ses officiers de leur parole. Il est persuadé d'être fusillé en se livrant, alors autant crever avec les Algérois.
« D'accord, je viens avec vous au G.G. On mourra tous ensemble ! »
Suivant Susini triomphant, Challe arrive à temps pour apposer une quatrième signature à la dernière pièce du putsch. Salan-Jouhaud-Zeller, décidés à poursuivre le combat, ont préparé une déclaration à la population annonçant la mobilisation de huit classes de pieds-noirs et conseillant à tout le monde de prendre les armes pour sauver l'Algérie française. Cette fois, c'est la révolution, avec les milices de civils armés. Mais il est trop tard.
Sur le Forum, à l'allégresse de la veille a succédé une lourde inquiétude. La population semble abattue. Elle attend le miracle. Rien ne se produit. Les généraux ont paru au balcon mais, les micros ne fonctionnant pas, ils sont rentrés dans leurs bureaux. Et la foule qui ne sait pas ce qu'ils voulaient lui dire en retire une impression désespérante.

Au G.G., c'est la pagaille. Des légionnaires et des civils en armes parcourent les couloirs jonchés de sacs, d'armes, de papiers, de canettes vides. Tout le monde gueule. Tout le monde commande. Puisqu'il a repris du service, Challe veut organiser un poste de commandement. Au commandant Raffin, un officier d'état-major qui l'a suivi, il demande de rencontrer quatre ou cinq civils représentatifs.
« Voyez avec eux ce qu'on peut faire et ne pas faire. Etudiez quelle est la partie d'Alger qu'on peut défendre.
Tout Alger si possible. Sinon, le Forum, le G.G. jusqu'à la mer. C'est le minimum pour laisser l'ouverture à ceux qui voudront filer. Voyez l'approvisionnement, les armes, les munitions. Dans trois quarts d'heure rendez-moi compte. »
Triste évolution en quatre jours ! D'abord l'Algérie, puis l'Algérois, maintenant le coeur de la Ville blanche. Puis mourir...
Ce n'est même pas possible. Le baroud d'honneur est vain. Raffin revient. Le verdict tombe :
« Je ne suis arrivé à rien, mon général, il y a environ 1 500 types armés mais ils se baladent dans tout Alger. C'est l'anarchie. On n'a pas de radio, pas de moyens de communication. On ne dispose ni d'armes, ni de munitions, ni de l'approvisionnement nécessaire pour pouvoir simplement tenir. Je regrette, mon général, je n'ai rien pu mettre de sérieux sur pied. »
Raffin a les larmes aux yeux. Challe lui tape sur l'épaule : Merci, mon petit Raffin ; maintenant, foutez le camp. La plaisanterie est terminée.

A la radio d'Alger le capitaine Sergent tente un dernier appel dans le désert. Cet homme pur et dur, sans complaisance ni pour les autres ni pour lui-même, a une réaction de désespoir. C'est la première fois de sa vie que cela lui arrive. Avec l'accord de Gardes et de Lacheroy, qui s'apprêtent eux aussi à larguer les amarres, Sergent, au micro de Radio-France, adjure ses camarades de l'armée de prendre leurs responsabilités sans tenir compte de la hiérarchie. C'est l'appel à la désobéissance, à la révolte totale.
Les heures qu'il vient de vivre sont tellement intenses que Sergent en est arrivé à espérer le miracle qui le tirerait de son désespoir.
Mais il est trop tard. Son message sera l'avant-dernier transmis par Radio-France.
Il est 23 heures lorsque retentit le dernier appel. C'est un jeune homme, revêtu de la tenue bariolée des parachutistes — il s'appelle Le Fustec qui le lance d'une voix haletante, dramatique :
« Population d'Alger, rendez-vous immédiatement au Forum pour empêcher la trahison de l'emporter. »Un peu de musique. Puis une autre voix annonce : « Ici, France V, nous reprenons le cours normal de nos émissions. » A la radio, la légalité est rétablie.

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La fin du putsch